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Les associations professionnelles au cœur de l’actualité du droit de la concurrence : des sanctions encourues plus élevées à la mesure de leur rôle dans la politique de concurrence

Affaires - Droit économique
02/06/2021
Les associations professionnelles jouent un rôle essentiel dans la vie économique. Jusqu’ici, en France, elles étaient toutefois exposées à un niveau de sanction financière limité à 3 millions d’euros en cas de violation des règles du droit de la concurrence. La directive « ECN+ » désormais transposée en droit français avec la promulgation de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 a conduit à un rehaussement très significatif de ce plafond. L’Autorité de la concurrence a soigneusement accompagné ce changement de paradigme en publiant en début d’année une étude thématique particulièrement détaillée consacrée aux organismes professionnels, notamment pour leur permettre de disposer d’un outil de compliance « clés en main » avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Au-delà, cette évolution s’inscrit dans une séquence au cours de laquelle les associations professionnelles ont contribué en France à l’actualité du droit de la concurrence.
 

1. Des sanctions plus sévères en cas de violation des règles de concurrence

La directive « ECN + »[1] vise à renforcer les pouvoirs et les moyens des autorités nationales de concurrence et couvre de nombreux aspects au-delà de la question des sanctions pouvant être infligées aux associations professionnelles[2]. En conséquence, l’ordonnance du 26 mai 2021 (l'« Ordonnance ») contient des dispositions très variées ajustant les règles applicables en France là où une adaptation était nécessaire. En ce qui concerne les associations professionnelles, concrètement, le plafond d’amende applicable préalablement de 3 millions d’euros est remplacé par une référence au chiffre d’affaires des membres actifs de l’association. En effet, la nouvelle rédaction de l’article L. 464-2, I, alinéas 5 et 6 du code de commerce prévoit désormais que « le montant maximum de la sanction est, pour une association d’entreprises, 10 % du montant total du chiffre d’affaires mondial » apprécié comme le total du chiffre d’affaires mondial « réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association ».
Naturellement, pour que cette disposition soit efficace, elle devait s’accompagner d’un mécanisme de solidarité[3] des entreprises concernées en ce qui concerne le paiement des amendes infligées par l’Autorité de la concurrence[4]. Ainsi, l’article L.464-2, VI prévoit désormais qu’en cas d’insolvabilité de l’association professionnelle concernée, dans un premier temps, l’Autorité pourra enjoindre l’association de procéder à un appel de contributions auprès de ses membres. Dans un deuxième temps, si les contributions versées sont insuffisantes, l’Autorité pourra directement exiger le paiement du montant impayé par toute entreprise dont les représentants étaient membre des organes décisionnels de l’association en cause. Enfin, lorsque cela sera nécessaire pour obtenir le paiement intégral de la sanction pécuniaire, l’Autorité pourra ensuite demander le paiement du montant encore impayé par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise[5].
En ce qui concerne les modalités d’application de la loi dans le temps, l’Ordonnance prévoit que ces sanctions ne « sont pas applicables aux pratiques anticoncurrentielles ayant pris fin avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. Toutefois, dans les cas où leur application a pour effet de réduire le montant maximal de la sanction encourue par l'association d'entreprises concernée, elles s'appliquent immédiatement aux procédures de sanction en cours »[6].
Ce changement de paradigme aura des effets considérables et c’est à propos que Madame la Présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, a évoqué une « révolution copernicienne »[7]. Cela influencera notamment la conduite de l’instruction des dossiers par l’Autorité de la concurrence lorsque des associations professionnelles seront impliquées dans les pratiques avec une attention particulière sur le rôle de ces associations. En conséquence, les entreprises et les associations professionnelles elles-mêmes adapteront leur stratégie de défense. On peut aussi imaginer que va émerger un contentieux spécifique relatif aux problématiques de recouvrement des amendes.

2. La volonté de préserver le rôle essentiel des associations professionnelles dans la politique de concurrence

L’Autorité de la concurrence a pleinement conscience du rôle pivot que jouent les associations et organismes professionnels, qu’il est essentiel de préserver. Ainsi, dans sa récente étude sur les organismes professionnels[8], l’Autorité de la concurrence rappelle leurs nombreux bénéfices : la représentation auprès des pouvoirs publics, les prestations de services proposées aux membres, la diffusion d’information sur le marché, la préparation de normes, les négociations collectives ou encore bien entendu la diffusion des bonnes pratiques en matière de règles de concurrence.
Mais l’objet de l’étude était au-delà et surtout de sensibiliser fortement aux « risques concurrence » dans le cadre de ces associations professionnelles et de fournir à ces dernières ainsi qu’à leurs membres un outil unique faisant le point sur la pratique décisionnelle et détaillant les bonnes pratiques à adopter, synthétisées dans un Vade-Mecum[9].
En procédant ainsi, l’Autorité de la concurrence envoie un message qui se veut équilibré en invitant par anticipation les associations professionnelles à une forme d’auto-évaluation afin de leur permettre, si nécessaire, d’adopter des mesures correctives préalablement à l’entrée en vigueur du nouveau dispositif de sanctions.

3. Le rôle essentiel des associations professionnelles attesté par l’actualité récente du droit de la concurrence en France

Au cours des premiers mois de la crise sanitaire liée au COVID-19, les associations professionnelles se sont fortement mobilisées dans de nombreux secteurs pour faire face au mieux à une situation inédite. Elles ont pu ainsi apporter des éclairages utiles à leurs adhérents, au besoin en sollicitant pour avis les autorités de concurrence, en France[10], comme dans d’autres pays européens[11] ou la Commission européenne[12].
Plus récemment encore, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis portant sur le secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités de paiement[13], après avoir notamment entendu de nombreuses associations professionnelles qui ont par ailleurs contribué à la réflexion sur ce sujet par le biais d’observations écrites.
En matière contentieuse, on notera le rôle moteur d’associations professionnelles notamment dans des dossiers récents et notamment l’affaire des droits voisins[14], celle du secteur du voyage de tourisme[15] ou encore le cas relatif au du ciblage publicitaire[16]. A l’inverse, il peut arriver aux associations professionnelles de faire l’objet de condamnations, comme ce fut le cas encore dernièrement pour les syndicats de producteurs de vins en Alsace[17].
 
Ces quelques illustrations récentes montrent à quel point les associations professionnelles sont des parties prenantes essentielles de la politique de concurrence avec lesquelles l’Autorité de la concurrence a tout intérêt de maintenir le dialogue . De leur côté, ces associations, qui sont désormais le plus souvent sensibles au « risque concurrence » ont mené des audits afin de s’assurer de la légalité de leurs actions.
Reste à savoir quelle sera la réaction des entreprises face à une situation d’exposition à un risque pécuniaire plus important qui pourrait, in fine, peser sur elles. Cela offre à coup sûr une occasion de renforcer la formation de leur personnel sur les bonnes pratiques spécifiques à adopter ou de contribuer à leur diffusion au sein des associations et organismes professionnels. Il est aussi hautement probable, si ce n’est déjà le cas, que l’Autorité de la concurrence sera sollicitée dans les mois qui viennent par des demandes de clémence plus nombreuses. Par ailleurs, le risque est réel, surtout au regard du contexte économique dégradé et incertain, que certaines entreprises feront le choix de prévenir tout risque (pour l’avenir) en se retirant purement et simplement de tout ou partie des associations dont elles sont membres (ou renoncent à leurs mandats au sein des organes décisionnels). Ceci pourrait porter atteinte à la viabilité financière de certaines associations mais surtout dégrader la qualité de leurs contributions aux débats actuels très structurants, au détriment de tous. 

Par Jean-Julien LEMONNIER, Antitrust, Partner - Stephenson Harwood. 
L'auteur remercie Pascal Chen pour sa contribution dans la rédaction de cet article. 

 

 
[1] Dir. (UE) 2019/1, 11 déc. 2018, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite « Directive ECN+ ».
[2] Voir sur ce point le Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021 -649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, JO 27 mai 2021.
[3] Article L. 464-2, VI du code de commerce.
[4] Dans les limites du plafond individuel de 10 % du chiffre d’affaires annuel mondial (article L.464-2, I, alinéa 7 du code de commerce).
[5] Sauf si, elles « démontrent qu'elles n'ont pas appliqué la décision litigieuse de l'association et qui en ignoraient l'existence ou qui s'en sont activement désolidarisées avant l'ouverture de la procédure » (article L.464-2, VI, alinéa 3 du code de commerce).
[6] Alinéa 1 de l’article 6 de l’Ordonnance.
[7] Aut. conc., Étude Les organismes professionnels, janv. 2021, p. 2.  
[8] Aut. conc., étude précitée.
[9] Aut. conc., Organismes professionnels – 6 fiches pour éviter le risque concurrence – DOs & DON’Ts.
[10] Aut. conc., communiqué de presse, 22 avr. 2020. L’Autorité éclaire une association professionnelle sur ses possibilités d’action concernant les loyers de ses adhérents dans le cadre de la pandémie actuelle de COVID-19. Égal. Aut. conc., avis n° 21-A-03, 16 avr. 2021, relatif à une demande d’avis du Médiateur du cinéma sur les modalités de sortie des films en salle (le Médiateur ayant saisi l’Autorité de la concurrence suite à une demande commune de l’Agence pour le développement régional du cinéma, l’Association française des cinémas d’art et d’essai et le Bureau de liaison des organisations du cinéma).
[11] Accord de coopération pour la distribution de masques porté par ASSOFIN, une association de distributeurs de produits pharmaceutiques, soumis à l’autorité de la concurrence italienne https://en.agcm.it/en/media/press-releases/2020/6/DC9901-COV1.
[12] Comm. UE, 8 avr. 2020, COMP/OG - D(2020/044003), Comfort letter: coordination in the pharmaceutical industry to increase production and to improve supply of urgently needed critical hospital medicines to treat COVID-19 patients.
[13] Aut. conc., avis n° 21-A-05, 29 avr. 2021, portant sur le secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités de paiement.
[14] Aut. conc., déc. n° 20-MC-01, 9 avr. 2020, relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a. et l’Agence France-Presse.
[15] Aut. conc., déc. n° 20-D-21, 8 déc. 2020, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du voyage de tourisme.
[16] Aut. conc., déc. n° 21-D-07, 17 mars 2021, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur iOS.
[17] Aut. conc., déc. n° 20-D-12, 17 sept. 2020, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace. Depuis 2015, plusieurs syndicats ou associations professionnelles ont fait l’objet de condamnation : Aut. conc., déc. n° 15-D-19, 15 déc. 2015, relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express ; Aut. conc., déc. n° 17-D-20, 18 oct. 2017, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients ; Aut. conc., déc. n° 18-D-06, 23 mai 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône ; Aut. conc., déc. n° 19-D-12, 24 juin 2019, relative à des pratiques mises en œuvre par des notaires dans le secteur de la négociation immobilière ; Aut. conc., déc. n° 19-D-19, 30 sept. 2019, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’architecte et Aut. conc., déc. n° 20-D-17, 12 nov. 2020, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie dentaire.
Source : Actualités du droit